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VERBE SACRE par Michel Brethenoux

 

VERBE SACRÉ

depuis sa fondation par Michel Brethenoux

VERBE SACRE 2010

En 2010, dans les pierres de l’ancienne abbaye de Landévennec, deux versions des Psaumes sont données, intitulées respectivement : Gloires et Repons les Psaumes, dans une oralité rythmée d’Henri Meschonnic et par la parole interpelant de Paul Claudel.

« Festival », une première ! Pour la toujours vivante Abbaye St Gwénolé de Landévennec, cette création d’Antoine JULIENS s’est déroulée du 9 au 12 septembre 2010 sur le site de l’ancienne abbaye. Au cœur des vestiges carolingiens et romans, cette abbatiale témoigne des séquelles de la Révolution, d’une histoire qui la réduisit, un temps, à servir de carrière de pierres. Pas seulement ! Car l’Homme habité par l’Esprit est également ce « temple à ciel ouvert » selon les termes de Christian de Chergé, Prieur des cisterciens de Tibhirine, martyrs de leur Foi en 1996. Également habité par les Psaumes transcrits par Claudel et par Meschonnic, Antoine Juliens s’identifie à un lieu, à des textes qui explicitent le sacré, jusqu’aux cicatrices suprêmes. Pas seulement en filigrane, ni pour imiter je ne sais quelle esthétique, un « art contemporain » pour faire recette. Le Verbe nous porte en profondeur, violent, murmuré, ou suggéré… Alors, chacun ressent des émotions qui l’augmentent, lui permettent de marcher, pour « être plus ». 

« Verbe Sacré ! » Juste titre, car l’acteur restitue l’Esprit. Pendant des années, le vieux  Poëte, « les coudes sur la table » a ruminé la Bible jusqu’à assimiler le sens prophétique du mystérieux Scripteur. Il a fini par épouser Anima, l’Invisible en quête de l’ « amant divin ».[1] La Porte est grande ouverte à l’irrépressible voix : « Verbe Sacré » ! Tout le travail du metteur en scène repose sur cette ouverture, bouche créatrice qui dit « Oui ». Antoine Juliens a réussi, à son tour, l’épreuve initiatique. Quand il cite du Ps.99, le verset 4, il en formule cette lumineuse explicitation, à souligner : « Le psaume est une porte à nos pieds pour entrer et chaque verset un seuil ! Quelque chose qui dit oui ! »

En effet, le public nombreux, croyant ou pas, ne sortira pas indemne de ces quatre soirées.

– “ Oui, il y eut ce silence impressionnant du public dans la nuit. Voici lancé le Verbe Sacré, au rythme des Grandes Marées !  Landévennec ? Un rendez-vous entre Espace et Histoire, pour redire cet « In Principio erat Verbum… » ” (1)

 

VERBE SACRE 2011

En 2011, face à l’océan, est rendu un hommage aux marins disparus. La création, nommée Jonas-Ex-Voto, se fonde sur la voix de 3 poètes de Bretagne : Saint Pol Roux, Xavier Grall et Gilles Baudry avec, au cœur de l’écrit, le Livre de Jonas.

Ce Festival initié par Antoine et l’Abbaye vit et survit par l’effort de quelques institutions,  de mécènes, d’un public  assez  passionné d’énergie spirituelle – pas seulement de folklore – pour se risquer, au fin fond de la presqu’île de Crozon. Écouter l’épopée des Marins et des Flots, la parabole de Jonas, portées  par un Oratorio inédit. On vit l’angoisse des Mères et Femmes de marins, le drame de l’existence humaine, fragile, minuscule au sein de l’immensité. Et la Conversion de Jonas prend son sens, sous un vivier d’étoiles qui murmurent : Espoir et présence d’Éternité.

Mystères ! l’acteur, l’actrice les célèbrent dans le chœur à ciel ouvert, face aux piliers tronqués, aux fenêtres romanes éventrées. « Verbe Sacré » permet de mettre en valeur le Patrimoine et de  transcender notre Histoire, les marées des siècles aux innombrables tempêtes.  Sur littoral de fin des terres, les paroles de Jonas et des trois poètes bretons nous ont portés, par flux et reflux, comme pendant les trois jours de la fable biblique. La « vraie vie » des marins, de la Mer et des Mères, est devenue la nôtre.

–   Le Verbe Sacré, soutenu par quelques lanternes, par des notes discrètes, les chœurs puissants des Pardons, porte ses fruits… L’œil écoute, les étoiles disent « la musique des sphères », tandis que sur scène, les voix alternées d’Antoine Juliens, l’Homme, et d’Isabelle Maudet, la Femme, rappellent nos rythmes originaux non loin des flots. Pour la deuxième année, le talent du comédien-créateur Antoine JULIENS, sa volonté impétueuse servie passionnément par sa petite équipe ont réincarné le « Verbe Sacré ». (2)

 

VERBE SACRE 2012

En 2012, le voyage s’accomplit entre mysticisme et agnosticisme par la rencontre de deux grands poètes, Jean de la Croix et Rainer Maria Rilke. Intitulé De l’Obscur à la Lumière, l’oratorio théâtral se conclut par le “ Chant des chants ” de Salomon.

Le spectateur, j’allais dire le pèlerin, ne peut que se mettre à l’unisson, dans ce Patrimoine lié à des valeurs historiques et spirituelles. Souvent venu de loin, jusqu’à ce presque « bout du monde » il baigne dans la mouvance de la soirée crépusculaire. On vit en communion dans le vaisseau porteur que redevient l’abbatiale. Tout autour, la Mer se fond dans les ténèbres d’un ciel d’encre. La nef se recueille, berceau du « Verbe Sacré », pour la  troisième année. On va se laisser pénétrer par le langage originel, le drame et le miracle de la Vie : appels désespérés vers un amour, et chants de tendresses partagées. À la recherche d’une unité, dans une « Paix Profonde »… Le cadre, la clémence du ciel, le talent des acteurs, le thème… tout  va nous initier à  « la Lumière ». 

À la fin, retour dans le noir, long silence : avant d’applaudir, chacun, lourd d’images, comme envoûté, retient son souffle. La dernière scène, libérée de paroles, d’une gestuelle saisissante, tient du liturgique. Descendus de leur échelle, Passant et Prisonnier, s’effacent lentement. L’Ange, seule au milieu des flambeaux, va chercher dans « l’obscur » un mystérieux coffret de bois sombre, l’élève, le transporte religieusement entre ses mains. On s’interroge. Reliquaire, cercueil, urne sacrée,  boîte à parfums ?… Quel trésor, ou quel vide l’emplit ? Lentement, elle en fait l’ostension, puis le repose à ses pieds, au centre. Elle l’ouvre, y plonge les deux mains qu’elle  élève doucement jusqu’au visage. Sur chaque joue, s’imprime alors une vaste auréole d’un blanc lumineux, éclatant. Du silence s’élève une voix pure qui s’amplifie longtemps, comme notre émotion. Plus de geôle ni de matière, mais dans l’obscur, deux cercles de lumière sur un visage ! De cette transfiguration, émane comme un baume céleste. On pressent une mystérieuse Présence, comme au seuil d’un monde nouveau.

– “ Ce « Verbe » du début de tout, « Vie » et « Lumière », nous fait subir parfois l’épreuve de la Nuit : « Sacré », ou « intouchable », Présence-distance mais  sur un plan d’Éternité !… Un public de plus en plus nombreux vient chercher l’exigence : faire silence, se laisser pénétrer par le « Verbe Sacré »… ” (3)

 

VERBE SACRE 2013

En 2013, un prologue, à l’image de La Patelle qui s’accroche au rocher, ouvre la 4ème édition. Création d’Isabelle Maudet d’après les oeuvres du poète breton Yann Ber Calloc’h, sur l’emplacement même où abordèrent les Vikings voici tout juste onze siècles.L’image est belle et la lutte explicite. En un mot, tout serait dit : « les PHARES ! » Ce symbole choisi par le poète des Fleurs du Mal pour exalter les héros de « notre dignité », artistes, héros ou saints, piliers de nos civilisations, sonne aussi juste que la « patelle » celtique !

– “ Avec Neuf Cent Treize… Incendie, A. JULIENS, acteur et metteur en scène accompli présente, avec trois acteurs de talent, un spectacle d’exception : une montée de cette terre de granit jusqu’au ciel étoilé. … Le Livre biblique prophétise la chute de Babylone. Benoît le transmet à Wethenoc. Quand disparaît Keben pourchassée en vain par Odalrik, ce dernier veut s’emparer du Livre. Wethenoc le jette dans l’Euphrate avant de réussir à se délier de son roc. Puis on passe de la terre au feu. Furieux de son échec, Odalrik se démène en diable, s’acharne à déterrer « les crânes-pierres ». Effrayé des pouvoirs magiques détenus en ces restes, il les lance dans le bûcher. Il s’ensuit un  effrayant tremblement de terre : Odalrik fuit cet enfer qu’il a créé. ” 

 « VERBE SACRÉ », créé depuis 2009 par Antoine JULIENS à l’abbaye de Landévennec, plus « événement » que « festival », suscite une émotion  toujours nouvelle. Cet « ORATORIO » sur bases historiques est de dimension spirituelle : il nous met « en marche » dans l’espace-temps, et au-delà. Il est toujours actuel.  Surprises et instants de ferveur ! Si la première rencontre, le premier tact ou contact ne s’oublient jamais, ils finissent souvent par s’estomper, par s’affadir au fil du temps, brouillés, bousculés par les marées, les turbulences de la vie.

Mais le « miracle », l’étonnant que la logique humaine n’arrive pas à maîtriser, c’est d’abord l’attraction d’un public exigeant qui, en fin de saison touristique, alors que la vie scolaire a repris son cours, prend la peine – sinon le risque– de participer à une aventure.

  A. JULIENS, acteur et metteur en scène accompli présente, avec trois acteurs de talent, un spectacle d’exception : une montée de cette terre de granit jusqu’au ciel étoilé. Cette année, de l’Incendie, des souffrances de l’Histoire, il tire l’Espérance, et ce cadre, ce plein air vont s’enrichir d’une plénitude de paroles : « Verbe Sacré », un an d’écriture et de travail intense pour son équipe bien soudée. Voici que va vibrer un souffle original, originel, comparé aux multiples festivals d’été, où il s’agit souvent de plaire, voire de provoquer. Ici, l’assemblée se recueille : tout est silence dans un cadre antique adapté à l’Oratorio proche d’une liturgie !… Sans « effets spéciaux », mais par la sacralité et la passion du Verbe, la création d’A.JULIENS redonne  vie à la presqu’île de Crozon, à ce pays d’Armor animé l’été, mais tenté de somnoler en fin de saison. En cette abbaye, l’incendiée ou la neuve, sorte de centrale énergétique, impossible de tomber en hibernation. « Un pur esprit s’accroît sous l’écorce des pierres ! »(Nerval). (4)

 

VERBE SACRE 2014

En 2014, avec Requiem pour Samuel… Comment résumer, objectivement, ce nouvel Oratorio théâtral d’Antoine JULIENS, si riche et violent de pénétrants contrastes ? Intuitif, l’artiste nous en apprend plus que le philosophe ou que le scientifique qui s’en remettraient au principe positiviste de causalité. Il situe l’homme dans la Nature et le Cosmos qu’interrogent, depuis l’antiquité, les esprits les plus subtils. Mais ce nouveau spectacle lance d’emblée une provocation.n’ignore rien de ces clowns tristes, quasi amnésiques, désespérés. N’est-ce pas l’humanité d’aujourd’hui, en désarroi ? A la Grâce de la Foi, et au mystère de la Rédemption, les hommes restent étrangers. Antoine Juliens évoque, dès le début, la même humanité à l’abandon, qui va à vau-l’eau, condamnée au drame de l’Attente, voire inconsciente. Son Requiem se veut un hommage au « poète et prophète de l’aujourd’hui » (p.12). Cette « métaphore du quotidien » – il le dit justement (p.11) – met en scène les aveugles, les désespérés, les pantins de l’époque de Beckett, de la nôtre aussi, et celle de toujours. Mais, pour nous sauver de ces bas-fonds, il met en avant l’Evangile : si « la lumière luit dans les ténèbres », Jésus, Verbe et Dieu « était la lumière véritable ». Il s’est « fait homme », donc la lumière existe. Avançons sur la route, et puis la Grâce viendra peut-être aussi. Ironie et provocation ! On la subit, mais on l’accepte venant de « clowns mystiques ». Il ne s’agit pas des jeux farfelus et faciles d’un Jarry, des prétentions d’un Marinetti fier de son « Manifeste du Futurisme », ni des bouffonneries de Dada, qu’ A. Breton, Pape du Surréalisme saura canaliser. Un spectacle « futuriste » des années 1920 positionnait un rideau pour ne montrer que des pieds ! On oublie les incohérences de certains aventuriers de l’Art moderne, la culture des jeux, de mots, d’images ou de la fantaisie. À Landévennec, dans une salle – qui n’existe pas – rien n’est fermé, tout est possible sur les côtés, entre ciel et terre. L’auteur nous ouvre sur une quête qui ne se borne pas à la révolte en vogue d’entre les deux guerres. L’on reçoit un choc profond, certes, et l’on repart en devisant dans la pénombre, sur cette métaphysique de l’Attente.” (5)

 

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En 2015, avec SANTA Teresa – Quijote… “ Pourquoi ai-je éprouvé à chaque fois une telle jubilation à ces trois représentations de Santa, Teresa, Quijote ? C’est là du très beau théâtre : le texte, baroque, flamboyant d’Antoine Juliens, est porté par la diction extrêmement variée et maîtrisée, par le jeu très abouti de comédiennes et comédiens qui, déjà, par le ton, par le rythme qu’ils impulsent à leurs répliques donnent à comprendre ce que sont les personnages qu’ils incarnent. La force esthétique, au sens plein d’un mot qui dit la mobilisation de la sensibilité dans tous ses états, s’est imposée à moi sans faiblir en aucun moment. Merveilleuse idée, aussi bien, de parfois relayer, accompagner la parole par des chants. Mais la jubilation vient simultanément de l’intelligence, de la justesse du propos, de tout ce qu’il donne à penser. La confrontation  fait ici apparaître à quel point la mystique, côté Teresa, s’oppose à la mystification, côté Quijote. Teresa ne sort pas un seul instant du monde, c’est là que tout se joue, c’est là que l’expérience d’un amour extrême, radical, peut avoir sens, fût-ce d’une façon énigmatique, déchirée, émerveillée, aussi. Elle œuvre, elle prie, elle s’interroge, elle s’étonne, en constante relation avec autrui ; elle vit et va, tout entière se consumant. Quijote se projette de l’autre côté du miroir, tente de sortir dans un autre monde, celui de ses hallucinations, il est dans la méprise, prend l’imaginaire pour le réel, et son amour pour Dulcinea est du même ordre. Revenant au réel, il meurt. Quijote pourrait bien représenter ce que devient la mystique dans des représentations errantes et fumeuses. Il faut relire Teresa, avec A. Juliens. On (re)découvre que la foi est tout le contraire d’un évitement, d’une fuite, d’une facilité. « Boire le réel jusqu’à la lie », comme on l’entend dans le texte. Grand moment théâtral, qui enchante la sensibilité, qui donne profondément à penser. Cinq comédiens de premier ordre qui portent tout cela à ciel ouvert, dans un espace magnifique, entre le chevet de l’église de l’ancienne abbaye, et le rivage de la mer. (6)

 

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En 2016, avec LA NEF DES FOUS… Oui, nous sommes embarqués : « nous voguons sur un milieu vaste, toujours incertains et flottants, poussés d’un bout vers l’autre … rien ne peut fixer le fini entre les deux infinis qui l’enferment et le fuient. » Avant Pascal, « la Nef des Fous » désignait en notre « condition humaine » un navire désemparé. Il y a 500 ans. Aujourd’hui, dans ce nouveau « Verbe Sacré », Antoine Juliens propose, du silence jusqu’au cri, l’éternel questionnement : Qui sommes-nous ? Entre Paradis et Enfer, où allons-nous ? Qui tient le gouvernail ? Qu’en est-il de la Sagesse, du Bien et du Mal ? « Un pas vers l’amour, un pas vers la mort ! » [Montherlant]. Est-ce Dieu ou le Diable qui sont à l’œuvre ? Oui, sans la  Foi et la Grâce, quelle absurdité ! Ce thème envahit la littérature : « La Nausée » (1938), « le Mythe de Sisyphe », « l’Etranger » (1942)… Justement, cette « Nef des fous », (2016) ramène aux questions lancinantes. Qu’en est-il du Salut, du Destin de chacun, de l’Evolution humaine, de ce « Progrès » qui n’est ni « dans le gaz, ni dans la vapeur, ni dans les tables tournantes (mais) dans la diminution des traces du péché originel » (Baudelaire). Il ne s’agit pas de spéculations  philosophiques ou théologiques, ni de divertissement ou de fictions -même si les propos, tantôt secs ou fuyants, tantôt par monologues, sont le fait plutôt de « fous » ou de « brûlés du monde ». (7)

 

En 2017, avec TROMÉNIE DU SOLEIL… Ce nouvel oratorio d’Antoine Juliens, plus encore que les précédents est innovant. D’abord par ce titre exotique, dépaysant, de « troménie », ensuite par la projection intermittente, en cours de jeu, de tableaux originaux, vifs et multicolores de l’auteur lui-même : ils se meuvent en longueur sur les granits, vestiges du chœur antique, les font revivre et nous ouvrent par-delà l’Histoire, à l’immensité. Enfin, cette thématique de l’entrecroisement, certes poétique, n’a rien de fictif. Amour et Politique ! Dans sa dualité ce drame est toujours d’actualité. Deux fils constituent donc la trame du texte et de son « jeu ». D’abord, Dante et Béatrice incarnent la fascination de l’Amour, dans son mystère et son désir d’Absolu. Puis l’étonnant face à face entre François d’Assise et le Sultan musulman nous ramène à la Cinquième Croisade [1217-1221]. La rencontre fut réelle en Egypte, en 1219, après la prise de Damiette par les Croisés. Fanatisme et meurtres guerriers, dits « terroristes », vont-ils perdurer ? L’Amour, ici-bas, ne serait-il jamais qu’un rêve douloureux, parfois ressuscité ?
Du « dantesque » dans l’Histoire – Comment ne pas être séduit par cette intrigue, liée à l’Histoire, certes, et d’ordre culturel, mais apte aussi à toucher chacun en profondeur….

Ainsi, depuis huit ans, vers mi-septembre – temps des récoltes, des vendanges – le travail exceptionnel d’une équipe de passionnés porte ses fruits. Quatre acteurs, dont Isabelle, et quatre techniciens suffisent à Antoine, à son style toujours « sous tension », pour nourrir jusqu’en Bretagne profonde ceux qui viennent « communier » en ce « Verbe Sacré ». Cette année, l’étonnante « troménie du Soleil » nous a réellement fait cheminer vers la Lumière intérieure. Est-il excessif de dire que le Soleil, englobé dans la nuit par la voûte céleste, s’est intériorisé ? Qui vit cet Oratorio n’est plus banal vacancier venu pour – ou par – distraction. Antoine aurait-il restauré la vénérable tradition des « mistères » ?
L’espace scénique impose en soi la dialectique : élan/chute, vie spirituelle et ruines… Mais le drame – soulignons encore son originalité par rapport aux Festivals en vogue – dépasse la fragmentation traditionnelle de l’Espace-Temps qui englobe les mortels que nous sommes, et leur planète… En 2017, l’Oratorio fait revivre des structures de la « divine comédie » – cercles, sphères, abysses et cieux – avec un art exceptionnel.
Le texte, et surtout la scénographie de l’Oratorio sont des tremplins, moins pour les rêves que pour l’Amour. Dépassant un imaginaire médiéval, Antoine suggère des transpositions : du plus obscur, du tréfonds de l’espace on perçoit comme des cris, des hurlements de prisonniers ou damnés… Mais il n’y a pas contradiction avec les sondages actuels des physiciens : ils attestent l’existence d’ondes gravitationnelles actives, de plus de 100 millions de « trous noirs » dans notre seule Voie Lactée. Et l’univers accélère son expansion, grâce à cette mystérieuse et omniprésente « énergie noire » que n’atteint pas le télescope. Si l’Oratorio d’Antoine s’implique à la fois dans le Temps et l’Espace – il ne se réduit pas à un genre poétique, ni même liturgique. « Verbe Sacré » offre un « appel » d’air… ou plutôt de l’Esprit. Il mobilise toutes les énergies – en nous et hors de nous – comme pour vérifier ce paradoxe : « l’essentiel est invisible pour les yeux ». Par-delà les plans historiques ou politiques, il nous fait vivre en transcendance. Tout le vécu individuel ou de l’Histoire s’oriente vers une sacralisation. Loin de nier l’Evolution, il en souligne le sens. (8)

 

 En 2018, avec LES PIERRES DE SUBIACO« Les pierres de Subiaco » ! – Le titre renvoie d’abord à Saint Benoît qu’il s’agit d’honorer pour les 1200 ans de l’adoption de sa « Règle » dans toute les abbayes d’Europe, après le synode d’Aix-la-Chapelle. De plus, pour la neuvième année de la création de « Verbe Sacré » à Landévennec, Antoine Juliens tient à raviver l’Histoire, non par un récit, mais par cet « Oratorio » dramatique qui ressuscite les liens entre la Matière (« pierres »), l’Homme et l’Energie de l’Esprit Créateur: toute « une cosmologie du sensible ». Les aléas de l’Histoire laissent des traces sur ces « pierres » que travaillent les moines dont Pierre, savant « architecte », Grégoire et leurs disciples, à l’image du « Grand Architecte de l’Univers » ! Inépuisable symbolique ! — »Eh quoi! tout est sensible! »… Ce cri, ou « Credo » de Pythagore rappelé dans les « Vers Dorés » de Nerval reflète la dimension majeure de l’ Oratorio joué, trois soirs— j’allais dire trois « nuits » — dans les ruines millénaires de l’abbaye. Des « pierres » à « l’Esprit », simple oxymore ou jeu rhétorique !… Cette dialectique et le contexte seront ici justifiées par : « un travail de bénédictin »! Antoine Juliens le démontre : il nous entraîne au-delà des apparences, sans jamais les nier. D’où le spectacle d’une lutte incessante, et par moments dramatique.

La « période » II met en valeur le rayonnement de Benoît. « Où dois-je me rendre pour être ? » – Au bout du monde » répond Placide, le disciple. En effet, comme Benoît au tout début de l’Oratorio, l’architecte Grégoire, d’abord silencieux, pratique une déambulation, mais beaucoup plus ample et rapide que le bref « ballet » initial du fondateur. A plusieurs reprises il s’arrête, méditatif, puis, pensif ou priant, regarde le ciel. A voix haute, il énonce le nombre d’arcades, chiffre la dimension des piliers, va jusqu’à préciser la couleur et le nombre des pavés…et l’orientation des abbayes futures. Par-delà Subiaco, tout le monachisme européen est évoqué, de la Bretagne vers le Nord, la Rhénanie, la Pologne, en passant par la Belgique, le « Val d’Or » ou Orval. Pierre et Grégoire, les moines-architectes nous plongent en plein chantier, comparant, par exemple les calcaires de Fontenoille (non loin de Virton) et le bajocien. Tels des professionnels, ils nous font assister à l’extraction en carrière, au débitage, à la vie des pierres : « j’écoute uniquement ce que dit la pierre » confie Pierre.
Bâtir, mais aussi rebâtir ! Des scènes de tempêtes soulignent ces moments d’apocalypse où, à travers les siècles, d’innombrables monastères sont incendiés, ravagés, et les trésors de leurs manuscrits pillés. Or, avec l’esprit bénédictin et l’observance de la Règle subsiste la passion de recréer. Ici, une atmosphère de tempête est reconstituée, tandis que Pierre et Mathurin « bossent comment des galériens à redresser tout ça »(p.67). Pierre vante le « granit de Bretagne », s’exalte à la pensée du « marbre de Toscane, de l’Acropole, des vastes « coupoles de Perse revêtues d’or et de mosaïque », et de Ravenne « toute en émail ! »p.69). Nous participons à un hymne à la pierre d’autant plus sacralisée que « la mode est forme de décadence et de médiocrité ». Le « moine-bâtisseur » met en pratique une étrange profession de foi : « Je défends bien plus qu’un matériau, je défends ma foi dans la matière » (p.70). Ce travail n’est pas une réaction de l’instinct, mais il consacre l’unité de l’être et du cosmos. « Travail de Bénédictin » ! Il rejoint alors « l’hymne de l’Univers » d’un Teilhard de Chardin qui, paléontologue, exalte « la puissance spirituelle la Matière », témoigne de la vie du  » Christ dans la Matière ». Antoine Juliens n’évoque pas seulement l’abbaye d’Orval – de son pays de Gaume – mais rejoint, sans le dire, la devise teilhardienne : « tout ce qui monte converge ». Par la gestuelle et la parole les « moines-bâtisseurs » confirment ce lien qui est le nôtre, entre Terre et Ciel : « la nature est ici reflet du réel d’en haut ! » (p.73). (9)

(1) 09/2010 – (2) 11/2011 – (3) 11/2012 – (4) 05/2013 – (5) 12/2014 – (7) 05/2016 – (8) 12/2017 – (9) 02/2019 : extraits des comptes-rendus de Michel Brethenoux – (6) 09/2015 : de Gildas Labey

Louis RAMONÉ, Maire de Lanvéoc & Conseiller Général du Finistère (Verbe Sacré édition 2012) : « Sur le site prestigieux de l’ancienne abbaye de Landévennec, je suis admiratif devant la somme de travail fournie et le résultat obtenu en particulier par son directeur artistique et metteur en scène Antoine Juliens. Compte tenu du site historique ou l’événement se produit, de la qualité exceptionnelle des interprètes, j’espère et je souhaite un bel avenir au festival du « Verbe Sacré » initiative culturelle d’une profonde intensité et présentant une richesse artistique pour la Presqu’île de Crozon. »

Roger LARS, Maire de Landévennec (Verbe Sacré édition 2014) : « Quand l’été touche à sa fin, quand les prémices d’un automne reposant apparaissent, quand le silence des soirées encore tièdes nous encourage à quelques méditations, Antoine Juliens surgit pour faire raisonner le Verbe entre les murs ruinés de la vieille abbaye. L’œuvre composée par Antoine Juliens n’a de cesse de faire retentir ces appels et cris légitimes, véritables épreuves permettant de passer de l’obscur à la Lumière. »

Roger LARS, Maire de Landévennec (Verbe Sacré édition 2015) : J’ai du mal à traduire l’intensité de mon ressenti… Quand la lumière du jour a laissé poindre la pénombre, les spectateurs se sont installés dans un quasi silence traduisant une attente, celle de ce 6ième rendez-vous avec Antoine Juliens qui, avec une certaine audace, fera une nouvelle fois dialoguer deux figures, religieuses pour l’une, littéraire pour la seconde. La pieuse Teresa et le déraisonnable Don Quichotte, recherchant tous deux, à leur manière, le vrai salut … La force des paroles, le jeu intense des acteurs, les chants magnifiques font que chacun en arrive à oublier la fraîcheur de ces soirées de fin d’été et les caprices toujours possibles de la météo. Incontestablement, Verbe Sacré a trouvé sa place dans le domaine exigeant de la création de qualité et son lieu, au sein des ruines de l’abbaye bretonne de Landévennec.

Louis RAMONÉ, Maire de Lanvéoc (Verbe Sacré édition 2015) : Mes plus vives félicitations pour la représentation théâtrale de verbe sacré. Cette sixième édition était à la hauteur des précédentes et les acteurs impressionnants de réalisme, de vérité et de talent. La culture vous doit beaucoup et la Presqu’île de Crozon aussi pour ce cadeau que vous leur offrez. C’était du très grand art.